L’art du photographe consiste à capturer dans le monde extérieur, par le biais de son appareil, des images qu’il a dans la tête. En vérité, c’est un peu plus compliqué car, pas plus que tout un chacun, le photographe n’a dans le cerveau des clichés qu’il chercherait à dupliquer grâce à la technologie. Les images qui le hantent ou l’animent – celles du dedans – sont latentes et, pour une grande part, inconscientes. Peut-être même ne sont-elles pas seulement visuelles. Elles peuvent être assorties des éprouvés et des sensations dont elles sont issues. Elles se composent de traces mnésiques venues d’horizons variés : internes, externes, présents ou passés. En somme, il s’agit d’assemblages fugaces.
L’action de photographier vise à donner une forme définitive aux images du dedans, à les fixer alors qu’elles sont insaisissables par nature. C’est une action qui réclame au moins deux temps, séparés par une période de latence propice au travail d’élaboration. Presser le bouton est un acte tangible, tout comme le sera le résultat de la prise de vue, mais le mouvement créatif et ses ressorts restent énigmatiques. Ils se révèleront après-coup, sous un éclairage à chaque fois renouvelé.
Le matériau choisi par Jean-Éric Fabre [ici] nous éclaire sur un univers où se mêlent imagination et perception. Les paréidolies sont des illusions perceptives qui consistent à reconnaitre des formes familières dans un paysage, des nuages, de la fumée ou une tâche d’encre. Enfant, nous nous sommes tous livrés à ce jeu, avec plus ou moins de bonheur. La magie du phénomène ne fonctionne que si le support perceptif n’est ni trop pauvre, ni trop saturé. Il doit se prêter au jeu, c’est-à-dire ne rien représenter en soi.
Mais comment définir ce jeu ? C’est une oscillation entre images du dedans et images du dehors : le gros rocher se mue en animal ou en visage pour redevenir, l’instant d’après, l’énorme cailloux qu’il n’a jamais cessé d’être. Si l’on s’approche du gros rocher pour le toucher, l’illusion d’optique disparait. Quant aux nuages, leur apparence éphémère qui s’étire et se déforme offre une figuration à des éprouvés extinctifs que les mots peineraient à décrire. Seul le jeune enfant ou le poète tendrait la main vers le ciel dans l’intention d’attraper l’inaccessible en soi. On comprend que la photographie se révèle comme une possibilité de s’emparer des paréidolies.
Bretagne - 2006
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